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André Jolly - peintre de Névez et de Pont-Aven

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    Après la démobilisation, en mars 1919, il décide de découvrir avec sa famille les sauvages et lumineux paysages de la Corse qui offre des perspectives authentiquement japonisantes. Il rapporte de la région de Cargèse, des compositions remarquables de lumière: Les calanques de Piana et Vendanges en Corse;

dans ce dernier tableau, en prenant soin d’alléger la touche sur une toile très fine, il renoue avec la technique de la fresque par la matité des couleurs et la disposition horizontale des femmes au visage austère, à la pose hiératique; leur inclinaison suggère le mouvement vers l’âne, résigné et passif, élément central de la composition, qui porte les “bigonzis”, ces tonnelets profonds, déchargeables par le fond amovible. André Jolly ne représente pas d’ombres sur les pampres de vigne, et reprend ainsi la manière que Gauguin expliquait en 1888, dans une lettre à Emile Bernard: “l’ombre étant le trompe-l’œil du soleil, je suis porté à la supprimer.” (9) Avec Le Four et Vendanges en Corse, André Jolly explore la manière allégorique et magnifie les gestes ancestraux et bibliques qui donnent le pain et le vin.

     En 1920, André Jolly revient à Paris où il occupe l’appartement de ses parents décédés, au No10 de l’avenue Rachel qui se termine en impasse au cimetière Montmartre. Il participe à diverses expositions: en 1921, à celle des “Peintres d’Armor”; en 1922, au salon des Artistes décorateurs; de 1919 à 1923, il présente quinze tableaux au “Salon d’automne”. Pendant l’hiver 1923,  sa première exposition particulière à Paris, à la Galerie Marcel Bernheim, est une vraie révélation; elle lui vaut un article élogieux, dans la revue “L’Art et les Artistes”, du critique Ciolkowski qui décèle “l’influence impressionniste pour le choix des couleurs et celle de Gauguin pour la composition des paysages jamais laissée au hasard, mais dirigée par une volonté décorative...” Il constate: “André Jolly est en pleine évolution. Délaissant les séductions de la couleur qu’il jugeait trop faciles et de nature à limiter ses possibilités d’expression, il  s’attache à rendre non seulement l’arabesque des formes et leur surface colorée, mais aussi et surtout à en exprimer la structure intérieure par une matière plus solide et par un coloris plus dense.” (10) Ainsi le talent d‘André Jolly semble avoir atteint sa maturité. En cette année 1923,  les couleurs, la lumière, le mouvement qu’expriment ses peintures, la décomposition savante des paysages et des marines en taches modulées dans des dominantes bleues ou vertes qui révèle, sans la brouiller, la beauté naturelle, emportent l’adhésion du public et des critiques.

    Mais en 1924, au moment où sa notoriété est reconnue, il décide de rompre avec la vanité parisienne, les relations obligées; il revient dans le Sud-Finistère. Il a acquis, face aux embouchures de l’Aven et du Belon, une lande escarpée à Port-Manech où il a fait construire, en 1922,  une grande maison,”Rozhuella”. Il aménage un vaste jardin avec une terrasse qui domine la mer et une pergola fleurie de rosiers grimpants. Il plante des essences rares et de nombreux pins qui constitueront les lignes décoratives de ses futurs tableaux. Il analyse avec minutie les nuances chromatiques des écorces de pins: pour la surface: violet bleu froid; pour les crevasses: rouge grenat; pour les ombres dans les creux: violet bleu très foncé. Dans un rayon de quelques kilomètres autour de Port-Manech,  il moissonne les paysages qui ne cesseront de l’inspirer. Il continue à maîtriser “les rives coquettes de l’Aven” et “les bords plus sauvages du Belon” qu’il décline par tous les temps et toutes les lumières. Il aime à y placer une voile blanche qui apporte au tableau très coloré une note rafraîchissante et approfondit la perspective. Il représente des Thoniers au mouillage à Kerdruc et saisit les anses du Pouldon et du Poulguin métamorphosées par le rythme des marées. Il maîtrise les clairs de lune dont les reflets argentés sont effeuillés par la mer, à travers les arbres. Il apprécie la composition adoptée par de nombreux peintres, qui consiste à encadrer un paysage par le châssis d’une fenêtre ouverte: il représente ainsi, de jour et de nuit,

son jardin de Koadik qui domine la mer aux tonalités changeantes. La côte de Port-Manech lui permet de retrouver la manière du cloisonnisme. Recevant des amis peintres et des critiques d’art (en particulier, Curnonski avec lequel il noue une fidèle relation), il mène une vie heureuse avec sa femme et ses quatre enfants, Renée, Colette, Claude et Luc, mais se fait oublier à Paris.

    En 1927, la scolarité de ses enfants oblige la famille Jolly à quitter Port-Manech pour habiter Quimper où elle reste six ans mais déménage trois fois. Fidèle à l’éclectisme qui fait disparaître les frontières entre les arts dits “nobles” et les activités artisanales, il monte un atelier de production d’objets en bois pyrogravés: des coffrets, des plateaux sont décorés de guirlandes de fleurs, de scènes bretonnes dont certaines reprennent les sujets de ses toiles, comme Le Four et Labourage au printemps. Les pièces, toujours soignées, sont chevillées, numérotées et portent un numéro de série et son monogramme.

    Confronté aux premières difficultés financières, il doit se résoudre à vendre sa maison du 37, rue Anatole Le Braz et quitter Quimper en 1933, pour s’installer au Mans où il obtient un poste de secrétaire à l’Inspection académique. Encore une fois, André Jolly décide de rompre avec un milieu où il avait établi des relations sécurisantes et valorisantes. Obéissant à une sorte d’atavisme qu’il tiendrait de son grand-père qui, tout jeune, s’était enfui de la ferme de ses parents, il n’a jamais hésité à assumer les ruptures, les départs, déménageant sans cesse, louant puis sous-louant des ateliers, enchaînant pensions et hôtels, quêtant sans relâche les lieux d’inspiration au prix de déplacements épuisants. Il partage désormais sa vie entre Le Mans et Port-Manech où, à côté de sa grande maison, “Rozhuella”, vendue en 1931, il aménage la petite maison, “Koadik”, qui rassemblera , chaque été, les enfants dispersés et bientôt les petits-enfants dont les diverses sensibilités s’imprégneront de souvenirs indicibles.

    Surmontant  sa discrétion presque maladive, il participe à la vie culturelle du Mans et s’essaie à la critique cinématographique. Il illustre des carnets de chants de jolies vignettes, au profit des “Pupilles de l’école publique”. Pendant les vacances d’été, il donne à ses petits-enfants, les bases de la grammaire latine et leur fait partager  sa culture de l’Antiquité; l’hiver, il traduit les œuvres de Virgile. Il réalise des toiles décoratives, sans doute plus conventionnelles, mais qui témoignent encore de sa maîtrise à rendre les reflets mouvants des rivières, la Sarthe, l’Huisne et ses moulins, le bief de l’Epau. Il expose à la “Galerie Sélection”, rue Courthardy, au Mans et séduit le peintre André Fertré qui écrit: “ Décorateur né, André Jolly qui a suivi les conseils d’Henry Moret, se rattache à la lignée de Gauguin... Son grand amour du pays breton, eaux et rochers, arbres tourmentés et ajoncs fleuris, rend vivant étonnamment tel paysage de Port-Manech, telle échappée sur la côte sauvage; une intense poésie se dégage de tel vieux thonier, de tel pin aux bras fantastiques, de tel matin à Port-Manech. Des fleurs, enfin, mettent leur note chantante en cet ensemble d’une singulière beauté.” (11)

    En juillet 1950, il présente à Quimper, à la Galerie Saluden, un ensemble de vingt-deux tableaux et suscite un commentaire admiratif de Louis Derrien qui conclut: “de toutes ces œuvres si variées par les thèmes et la transcription, émane une indiscutable unité: un sentiment profondément poétique s’en dégage offrant aux âmes assoiffées de paix, en notre époque si vainement agitée, une rafraîchissante oasis de calme, de beauté, de sérénité.” (12) A l’âge de soixante-huit ans, André Jolly obtient encore un beau succès d’estime.

    Mais en 1956, le décès brutal de son épouse l’affecte profondément. Au Mans, il quitte son appartement, rue Hauteville, pour vivre chez sa fille, Colette, rue de la Pelouse. Cependant les rites familiaux se maintiennent, immuables. La famille se réunit chaque été dans la maison de Port-Manech autour du grand-père qui peint de moins en moins. En 1963, il représente, du haut du jardin fleuri de Koadik, l’embouchure de l’Aven qu’entame le hérissement du Roc’h; c’est son dernier tableau, mais il ne le signe pas.

    André Jolly s’éteint au Mans, le 20 juillet 1969, et  repose dans le cimetière de Névez, sa terre d’élection.

     Dans les années 1880, Gauguin écrivait: “Quels sont les peintres que nous admirons en ce moment? Tous ceux qui ont blâmé les écoles, tous ceux qui ont tiré leur science de l’observation personnelle de la nature.(13) C’est la démarche artistique qu’a choisie André Jolly. Avec un don d’observation exemplaire, il s’est appliqué à traduire ce qu’il y a de plus intime dans la nature, sa musique et sa poésie. Ses œuvres qui harmonisent le dessin scrupuleux et les couleurs riches et denses  sont encore vibrantes de l’émotion première; elles témoignent d’un instant, d’un lieu, d’une vision. En synthétisant, au-delà de la vision impressionniste, les divers apports des courants artistiques qui ont suivi, il s‘est tenu sur la voie étroite de la représentation de la beauté accessible qui fertilise heureusement le regard.

Daniel Le Feuvre. 

 

au premier plan, à droite: André Jolly

Notes:

(1)“Le Moderniste illustré” 1889. Extrait cité dans “Paul Gauguin. Oviri. Ecrits d’un sauvage.” Folio essais, p.56.

(2)“Les Petits Maîtres de la Peinture” 1985. Gérard Schurr. vol. 6; chap. 13.

(3)“Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs”. 1999 E. Bénézit.

(4) 26 lettres ont été écrites, de 1906 à 1913, par André Jolly à son cousin René Fournier.

(5)“L’Impressionnisme et son époque” 1987. Sophie Monneret. Préface de René Huyghe. P. VII.

(6)“Paul Sérusier”1988. Caroline Boyle-Turner. p.20.

(7)Lettre de Cézanne à Emile Bernard. 1904.citée p.16 dans “Cézanne”. Ed. de la réunion des musées nationaux.1995.

(8)Citation portée sur le livret militaire d’A. Jolly.

(9)lettre de Paul Gauguin à Emile Bernard. 1888. Paul Gauguin. “Oviri. Ecrits d’un sauvage.” édit.folio essais p. 44.

(10)Ciolkowski “L’Art et les Artistes”. p.401, 402, 403. 1923.  Avec  la reproduction de trois tableaux d‘A. Jolly: “Le Four”; “Vendange en Corse”; “Le moulin de Penanveur”.

(11)Catalogue de l’exposition à la galerie Sélection du Mans (du 21 nov. au 4 déc. 1949).

(12)Catalogue de l’exposition à la galerie Saluden de Quimper ( du 1er au 13 juillet 1950)

(13)Paul Gauguin  “Oviri. Ecrits d’un sauvage.” édit. folio essais p.26.

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