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André Jolly - peintre de Névez et de Pont-Aven

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   De 1906 à 1914, il expose au “salon des Indépendants”; Signac qui prône le néo-impressionnisme, en assure la présidence à partir de 1909 et son influence est lisible dans certaines toiles d’André Jolly, comme Neige en Bretagne

cliché ville de Nantes- Musée des Beaux-Arts- A Guillard

et La Ravaudeuse présentées en 1910. De 1904 à 1923, André Jolly expose au “Salon d’Automne” qui accueille chaque année plus de deux mille œuvres; en 1907, il craint que ses toiles ne soient pas reçues et que “la plus grande et la meilleure de l’avis commun - la chapelle de Trémorvézen- ne soit pas retenue, ou qu’elle soit logée en un recoin obscur ou sur un trumeau défavorable”, confie-t-il à René. Néanmoins il en devient sociétaire, en 1909. Il participe aussi aux expositions de la “Société Nationale des Beaux-Arts” (en 1906) , du “Salon des Artistes Décorateurs” de 1910 à 1922. Il expose dans les galeries Balzac, Arnould, et Marcel Bernheim. En province, il expose à Nantes (à la Galerie Préaubert, en décembre 1911, avec Fernand Morin), à Angers, à Nice, puis au Mans ( à la galerie Sélection), à Quimper ( à la galerie Saluden). Dans un lettre datée de mars 1909, il écrit: “en ce moment, j’ai quatre tableaux ( La Parisienne, La Ravaudeuse, L’Araignée de mer, Figues et raisin) et un dessin à Bruxelles, au Salon de la Libre Esthétique où j’ai le plaisir d’être invité. Bonne compagnie: Renoir, Van Rysselberghe, Ch. Guérin, Albert André, Maurice Denis,  D’Espagnat, Lebeau, Manguin, Vuillard, Zak, le graveur Colin. Exposition très restreinte: des Belges, plus une quarantaine d’étrangers peintres, sculpteurs et graveurs.” Un article du journal “Ouest-France”, daté du 23 novembre 1949, évoque une présentation de toiles en Amérique, mais sans donner de précisions.

    La participation à toutes ces expositions  stimule l’activité d’André Jolly qui produit des portraits, des scènes paysannes, des paysages, et des natures mortes. On y décèle de multiples influences mais refondues par une force personnelle d’une vibrante intensité. Il adopte la technique du cloisonnisme en délimitant ses sujets de traits nets. Il aime à appliquer des couleurs vives par touches virgulées. Les vues plongeantes réduisent le ciel au minimum.

    En 1904, il représente, à la manière des peintres hollandais du XVIIème siècle, La vieille Catherine dont l’admirable visage et les fortes mains de paysanne sont mis en valeur par un effet de clair-obscur. En 1906, dans Débit de cidre, pardon breton, il montre les “pardonneurs” en habits de fêtes qui, après leurs dévotions religieuses, se restaurent sous des tentes dressées par les cabaretiers du pays; cette scène typiquement bretonne peut se situer près de la chapelle de Trémorvezen qui lui inspire d’autres toiles: celle datée de 1908 où le soleil vespéral jette un poudroiement doré sur la toiture bleutée de la nef et du croisillon sud; dans Le Village heureux, peinture décorative pour dessus de porte, le clocher se détache sur un fond d’arbres qui servaient d’amers aux marins et que colorent  les fulgurances de l’automne; dans celle représentant L’intérieur de la chapelle, où une Vierge à l’Enfant et une Pieta  encadrent la vitre du chevet, les tons bleutés expriment la froide humidité de l’édifice.

    En 1907, il portraitise la Ravaudeuse, prenant pour modèle la Bigoudène qui travaille à son service; le rouge vivifie, à la manière des Fauves, le visage, la coiffe et l’ouvrage ravaudé, sur un fond traité en touches turquoises dégradées. La même année, il se lance dans la représentation de Labourage au printemps, en choisissant le format d’une grande fresque ( 0,81m X 3,90m ) dont le dessin à l’encre et lavis est la réduction au 1/7ème. “Quant au grand tableau, écrit-il à René, il mijote et se nettoie de jour en jour. J’ai pour chaque figure, fait une étude peinte et un dessin; la première notant seulement les tons et le second les lignes. Avec ces renseignements , je tape dans le grand panneau .” Le laboureur exprime une force juvénile et les bras  transmettent aux deux mancherons toute l’énergie de son corps, arc-bouté par l’effort, pendant que les femmes, au visage délicat et au menton pointu, relève les branches basses des pommiers en fleurs, en esquissant une gestuelle de ballet.

    En juin 1909, après un séjour sur l’île de Groix, une lourde besogne le sollicite: Le Four,

un panneau de 2,10m de long sur 1,70m de haut. Parmi les dix-sept fours que comptait la commune de Névez, celui de Kerambris semble avoir servi de modèle. Dans une lettre à René, il en fait la description: “une fournée en plein air dans un vieux four. Au centre, le four culotté de noir et la gueule béante. A l’entrée, sur la grande pelle, un pain qu’une femme1/2 nature, pâtisse avec de la farine cependant qu’une fille (à gauche) s’approche avec un bol de lait destiné à la dernière toilette de la pâte. Un vieux, en culotte et guêtres tient le manche de la pelle, prêt à enfourner le moment voulu. Et (à gauche, au premier plan), une fille vue de dos, apporte un sac plein de pâte, et une autre, accroupie, un genou à terre, prépare de la pâte dans une corbeille. Au milieu, en avant, des corbeilles de paille déjà remplies. Au second plan, des landes de fleurs et de petits pins maritimes en deux groupes encadrent symétriquement le fond. A l’horizon, entre les troncs d’arbres, la mer... Depuis quelques jours, je couvre petit à petit ma toile. Je voudrais arriver à la peindre, juste ce qu’il faut, sans plus, pour ne pas l’alourdir (mon labourage de l’an passé était trop alourdi de pâte comme de ton - trop tableau de chevalet). D’ailleurs, pour ma prochaine décoration, j’essaierai la détrempe à l’œuf, plus légère et plus mate que l’huile: on doit arriver avec cela, à des effets voisins de la fresque”. Les femmes portent des tabliers de travail en droguet et la simple coiffe de tous les jours. En adoptant une construction pyramidale qu’impose l’édifice, A. Jolly dispose ses cinq personnages dont quatre sont alignés. Les verticales des silhouettes relayées par celles des arbres et les horizontales du sol et de l’horizon quadrillent la surface. Le Four est une symphonie de bleus et de verts égayés de tons roses et blancs; les touches larges rappellent l’Impressionnisme; la volonté de simplification reprend le Synthétisme ; la pose hiératique des personnages confère à l’œuvre “un petit air recueilli, presque religieux” qui s’inspire du courant “Nabi” initié par Sérusier qu‘André Jolly a rencontré à Châteauneuf-du-Faou.

     Pour réaliser ses compositions, André Jolly avoue “qu’il faut “chiader” longtemps, longtemps les études”. Aussi dessine-t-il pour chaque toile, une masse de croquis préparatoires, d’esquisses aquarellées; il note, sur un petit carnet, la variation de la lumière selon les heures du jour. Avec une économie de traits, André Jolly traduit avec justesse la posture des paysans au travail, des lavandières et des goémoniers. La quête du détail perçu par l’acuité du regard de l’artiste qui devient ethnologue, confère aux dessins la force du témoignage. Fonctionnant comme un écrivain qui constitue des fiches d’enquêtes, selon la technique de Zola, il accumule des documents qui seront repris à l’atelier où il “ faudra gratter, peindre, regratter, repeindre; les toiles moins nombreuses n’en seront que plus poussées, plus sérieuses et en tout cas plus instructives”.

     La Bigoudène au fagot peinte en 1910 est remarquable par ses bleus et ses verts nuancés; dominant l’anse de Rospico, la paysanne voûtée par l’effort est enveloppée symboliquement par la courbure de l’arbre dont les branches impriment, comme un vitrail, des sinuosités décoratives sur un ciel d’aurore vert pâle.

    A la manière des Japonais et de Monet qui aimaient à peindre le même motif sous des lumières différentes, André Jolly ne cesse de décliner sous tous les temps le vallon de Rospico (RospicoRospico sous la neigeNeige sur Rospico): il privilégie la richesse des tons acidulés; il stylise les formes, les synthétise; le paysage devient un arrangement décoratif avec des effets de tapisserie aux couleurs intenses. Il représente Pont-Aven au clair de lune et sous la neige; la ferme de Kerambail en été et en hiver dans Neige en Bretagne. La neige a toujours séduit le peintre pour son apparition inattendue et éphémère en Cornouaille, sa pesanteur qui courbe les branches et adoucit les formes, sa couverture irrégulière qui permet de juxtaposer la blancheur ouatée et les tons soutenus. En mars 1909, il  écrit à René : “C’est si rare de la voir sur cette côte, elle y fond si vite dès qu’elle a daigné tomber qu’on est grisé par sa venue. Tout est beau, jusqu’au moindre tournant de route , jusqu’à la plus petite masure; on voudrait tout faire, on ne sait quel motif choisir. On s’exalte et on s’énerve  parce qu’on sait que la neige fond déjà ou sera fondue demain”. Ces tableaux associent l’étincellement de la neige et le miroitement de l’eau qui double les berges et multiplie les reflets. A la manière des Impressionnistes, André Jolly ne cesse de représenter la poésie de l’eau qui, “dans son miroir mouvant, comme l’écrit  René Huyghe, brise ce qui reste de solidité préconçue aux formes et les entaille des mille blessures de la lumière et de ses éclats...” (5)

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